ON REPARLE DE LA CHARTE EUROPENNE DES LANGUES REGIONALES...
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Nous voici arrivés à un nouvel épisode de la longue et tumultueuse histoire de la signature par la France de la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires, avec l’examen par l’Assemblée Nationale, à partir de ce 22 janvier, d’une proposition de loi constitutionnelle visant à permettre sa ratification.
Rappelons brièvement l’histoire :
La Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires a été adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992. C’est une convention destinée d’une part à protéger et à promouvoir les langues régionales ou minoritaires en tant qu’aspect menacé du patrimoine culturel européen, et d’autre part à favoriser l’emploi de ces langues dans la vie privée et publique. Son objectif est donc essentiellement d’ordre culturel.
La France a signé cette Charte en 1999 et s’est engagée à appliquer 39 de ses articles (un minimum de 35 est exigé des signataires, sur les 98 articles que compte la Charte). Néanmoins, la ratification par le Parlement, nécessaire pour son entrée en vigueur, a été bloquée par une décision du Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la République (Jacques Chirac), qui a estimé que le texte était contraire à la Constitution française (d’une part, elle enfreindrait le principe d’égalité de tous devant la loi en créant des groupes particuliers ; d’autre part, l’article 2 de la Constitution stipule que « la langue de la République est le français »).
La ratification de la Charte faisait partie des promesses du candidat Hollande à la Présidence de la République – promesse relancée par le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault lors de sa visite en Bretagne en décembre 2013. Elle impose néanmoins une modification de la Constitution, qui aille au-delà de celle de 2008 qui précise que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (nouvel article 75-1).
La proposition de loi constitutionnelle actuellement examinée vise donc à lever l’obstacle. Notons cependant que la manœuvre est très incertaine : il faut qu’elle soit ensuite votée, dans les mêmes termes, par le Sénat, puis soumise à référendum… ce qui, dans les circonstances politiques actuelles, semble très improbable. Il se dit qu’il s’agit en fait d’un coup d’essai : si la proposition de loi recueille un nombre suffisant de voix à l’Assemblée et au Sénat, le gouvernement pourrait à son tour déposer un projet de loi, qui, lui, n’imposerait plus de recours au référendum mais pourrait être confirmé par un vote du Congrès (Assemblée Nationale et Sénat réunis). Autant dire que le chemin sera encore long et parsemé d’embûches !
Et le picard dans tout ça ?
Parmi les travaux préparatoires à la signature de la Charte par la France en 1999 figure le Rapport Cerquiglini (« les langues de la France ») qui énumérait les langues susceptibles de bénéficier des dispositions de la Charte. Le picard figurait dans cette liste de 75 « langues de France » (au sein d’une sous-catégorie « langues d’oïl »). Le rapport Cerquiglini répondait ainsi, en 1999, aux inquiétudes des associations picardisantes qui craignaient que le picard ne fût considéré comme un « dialecte du français » et, à ce titre, exclu du bénéfice de la Charte. La liste Cerquiglini, depuis lors, continue de servir de base aux travaux du Ministère de la Culture et de la Délégation à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF) – même si le ministère de l’éducation nationale, de son côté, est toujours resté plus frileux et n’a jamais admis le picard parmi les langues enseignées.
En 2014, les choses seraient-elles en train de changer ? Oui, et on peut craindre que ce ne soit dans le mauvais sens.
En effet, un récent rapport remis à la Ministre de la Culture et de la Communication, intitulé « Redéfinir une politique publique en faveur des langues régionales et de la pluralité linguistique interne » (juillet 2013), procède à un examen critique de la liste Cerquiglini et plaide explicitement (ce qui est assez nouveau) pour un traitement différencié des langues régionales. Si toutes sont égales, il apparaît que certaines seraient plus égales que les autres… Il semble bien que, aux yeux des rapporteurs, aucune des « langues d’oïl » ne mérite un enseignement plein : elles doivent être rattachées à l’étude du français. Tout au plus admet-on qu’elles puissent éventuellement faire l’objet d’une option au baccalauréat. Le rapport évoque également (p. 62) « les langues et parlers dont la situation ne permet pas un enseignement scolaire classique (...) en particulier certaines langues d’oïl [elles ne sont pas énumérées], à valeur patrimoniale et historique, affichant en outre une grande proximité avec le français. » On les renvoie dans l’enfer de « l’enseignement de la langue française dont elles révèlent la pluralité interne (...) et au sein des activités éducatives organisées durant le temps scolaire et dans le temps périscolaire et extra scolaire ».
Il paraît que la Ministre s’apprête à annoncer un ensemble de mesures en faveur des langues régionales en s’appuyant sur ce rapport. Si c’est le cas, on doit évidemment craindre que le picard ne soit à nouveau laissé de côté, ce qui augurerait mal sa prise en compte, le moment venu, par la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires.
Lien vers le rapport « Redéfinir une politique publique... » :
http://culturecommunication.gouv.fr/Actualites/Missions-et-rapports/Redefinir-une-politique-publique-en-faveur-des-langues-regionales-et-de-la-pluralite-linguistique-interne2